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La Tunisie entre le contrôle du GAFI et l’application de la loi FATCA : Bataille ou Cauchemar ?

Dans le but de retirer la Tunisie de la liste noire du GAFI (Groupe d’Action Financière) contenant les pays fortement exposés au blanchiment d’argent, au financement de terrorisme et à la prolifération des armes de destruction massive,  les autorités de contrôle œuvrent à faire respecter le plan d’action élaboré avec le GAFI et poursuivre les ajustements nécessaires pour mettre en place le dispositif adéquat.
En outre, et suite à la signature de l’accord FATCA entre la Tunisie et les Etats Unis le 13 Mai 2019, La DGI (Direction Générale des Impôts) a invité toutes les institutions financières à se conformer et fournir les rapports des exercices de 2014 à 2018 avant le 30 Septembre 2019.

Réévaluation de la Tunisie par le GAFI

Dans le cadre du contrôle continu appliqué par le GAFI sur la Tunisie, et suite à une visite les 16 et 17 Septembre 2019, des inspecteurs experts vont vérifier si la Tunisie a respecté les engagements pris afin de corriger le dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement de terrorisme.

Le dernier rapport de suivi élaboré le 28 Janvier 2019 a révélé quelques points à améliorer.

En effet, le GAFI a insisté essentiellement sur l’identification du bénéficiaire effectif et  l’intégration des EPNFD (entreprises et professions non financières désignées) dans le régime de lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive.

Afin de se conformer aux recommandations du GAFI, différentes mesures ont été  prises par la CTAF (Commission Tunisienne des Analyses Financières), qui  a renforcé ses décisions conformément à l’arsenal réglementaire tunisien existant notamment :

  • La loi organique n° 2019-9 du 23 janvier 2019, modifiant et complétant la loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent.
  • Le décret gouvernemental n°2019-419 du 17 mai 2019, relatif aux procédures de mise en œuvre des résolutions prises par les instances onusiennes compétentes liées à la répression du financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive, tel que modifié par le décret gouvernemental n°2019-457 du 31 mai 2019
  • Le décret gouvernemental n°2019-54 du 21 janvier 2019, fixant les critères et les modalités d’identification du bénéficiaire effectif.

En dépit des correctifs envisagés et afin de s’aligner aux recommandations du GAFI, le CGA (Comité Général des Assurances) a communiqué le règlement N° 02/2019 qui annule et remplace le règlement N° 01/2018.
Ce règlement reprend principalement la notion de vigilance renforcée et la définition des personnes politiquement exposées, l’actionnaire principal et une annexe pour encore clarifier l’identification du profil client concernant les personnes physiques, morales, associations, partis politiques et constitutions juridiques.

Loi FATCA : de la chasse aux évadés fiscaux vers un système fiscal international évolutif

La loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) est une législation américaine visant à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale des individus ou entités américaines qui détiennent des revenus en dehors des Etats Unis et refusent ou omettent de les déclarer.
Afin de renforcer la loi américaine, des accords entre les États-Unis et plusieurs états ont été mis en place. Les institutions financières internationales doivent communiquer à l’IRS Internal Revenue Service, des informations sur les comptes bancaires détenus par les personnes répondant aux indices d’américanité.
Il existe deux modèles d’accords intergouvernementaux (IGA):

  • Modèle 1 : Les institutions financières transmettent les informations et les rapports de déclaration  aux autorités fiscales de leur État, qui les transmettra à  l’IRS.
  • Modèle 2 : Les institutions financières transmettent  les rapports de déclaration directement à l’IRS.

Les principes de FATCA

Sur la base des indices d’américanité, les institutions financières peuvent identifier les clients
et les classer : Américain (US Person), Non Américain (Non US Person), Récalcitrant (ceux qui refusent la déclaration) et produire les reportings.

Indices d’américanité :

A. Personnes Physiques

  • Nationalité américaine ou résidence américaine
  • Détention d’un code TIN
  • Lieu de naissance du titulaire du compte situé aux Etats-Unis
  • Détention d’une « GREEN CARD »
  • Mention d’une adresse de résidence ou de correspondance aux Etats-Unis pour  le titulaire du compte (incluant une boîte postale aux Etats-Unis)
  • Le titulaire du compte dispose d’une ligne téléphonique américaine
  • Procuration ou pouvoir de signature donné à une personne disposant d’une adresse aux Etats-Unis
  • Instructions permanentes de virement de fonds sur un ou plusieurs comptes aux Etats-Unis.

B. Personnes Morales

  • La société est créée en vertu de la loi américaine ou constituée aux USA
  • La société dispose d’un code TIN
  • La société dispose d’une adresse de résidence ou de courrier aux USA
  • Institution Financière non américaine (disposant ou non d’un code GIIN)
  • Le capital de la société est détenu par un actionnaire ou plus qui sont des contribuables américains, détenant au moins 10% du capital.

Cadre Tunisien

Comme beaucoup d’autres pays et sous les pressions exercées par les autorités américaines, la Tunisie est sérieusement engagée dans la mise en œuvre de la loi FATCA adoptée le 18 Mars 2010.  A ce sujet, La Tunisie a signé le 30 Novembre 2014 un accord de principe en adoptant le modèle IGA1.
Ainsi, l’accord signé le 13 mai 2019  s’appuie sur  l’article 26 relatif à l’échange d’informations et d’assistance administrative de la convention entre les deux gouvernements tunisien et américain. Cet accord impose aux  institutions financières tunisiennes d’identifier et de déclarer les comptes financiers en question.

FATCA, une réforme coûteuse

Une véritable course afin d’appliquer la loi FATCA et éviter les pénalités éventuelles.
L’accord intergouvernemental a engendré des conséquences en termes de coût et de risques pour les établissements financiers.
En effet, l’échange automatique des déclarations requises par la Tunisie doit se faire avant 30 jours du délai accordé pour l’envoi des informations à l’IRS. Les institutions financières qui ne respectent pas cette obligation doivent régler une amende allant de 1.000 dinars à 20.000 dinars majorée d’une amende de 100 dinars par renseignement non communiqué ou communiqué d’une manière erronée ou incomplète.
Hormis les pénalités mentionnées, il y a d’autres coûts inévitables :

  • Identifier les clients-stock ayant des indices d’américanité et fiabiliser les données clients à la date de mise en œuvre de la réglementation.
  • L’entrée en relation avec des nouveaux clients est impactée par les informations et les documents utiles à collecter afin de déterminer le statut des clients.
  • Un système d’information capable de détecter les indices d’américanité et la génération des reportings.

Les enjeux de la Tunisie sont nombreux et internationaux et les mesures et les dispositifs mis en place afin de renforcer les législations ont considérablement augmenté en nombre.
Des efforts impressionnants dédiés pour mettre en place un dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent, le financement de terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive et l’impulsion du FATCA imposent une réforme coûteuse.
En vue d’améliorer le dispositif de transparence fiscale FATCA, et afin d’optimiser les coûts des mises en places des systèmes adéquats chez les entreprises assujettis, les mesures prises pour la connaissance du client (KYC) et les indicateurs de blanchiment d’argent (AML) peuvent servir en même temps à répondre aux exigences de FATCA ainsi que l’utilisation des nouvelles technologies dans l’échange automatique d’informations.

Par Zeineb Dhouioui, Consultante Risque & Conformité, Vneuron