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La Tunisie et l’efficacité de ses dispositifs de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme : une course contre la montre

En novembre 2017, la Tunisie a été classée par le Groupe d’Action Financière (GAFI) comme un pays ayant des déficiences stratégiques majeures dans son dispositif LBA/FT. Depuis, la Tunisie a multiplié ses efforts pour renforcer la conformité de son système financier ainsi que les professions non financières désignées dans sa réglementation afin de s’aligner aux normes internationales.

Dans le cadre de l’évaluation mutuelle des améliorations achevées par les autorités tunisiennes pour consolider le dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, un rapport de suivi a été publié par le GAFI le 28 Janvier 2019.

Ce rapport met en exergue l’amélioration de l’évaluation de quatre recommandations (6, 8, 26 et 34) de « Partiellement conforme » à « Largement Conforme » mais aussi la rétrogradation de  l’évaluation de la recommandation 18 de «Largement Conforme» à «Partiellement Conforme» que nous allons expliquer en détails dans cet article.

Par ailleurs, la Tunisie a présenté durant le mois d’Avril 2019 un cinquième rapport sur l’avancement de l’exécution du plan d’action de LBC/FT. La CTAF a expliqué dans un communiqué que ce rapport aura pour vocation de donner plus de détails sur le dispositif législatif et réglementaire tunisien qui a été récemment adopté. Le GAFI a exprimé lors de sa dernière assemblée générale que la Tunisie devrait démontrer que son dispositif de LBC/FT est pleinement opérationnel, notamment les points suivants :

  • l’intégration des entreprise et profession non financière désignées (EPFND), à savoir les avocats, les experts comptables, les huissiers notaires, les agents immobiliers, les casinos et les joailliers et commerçants de pierres précieuses.
  • La tenue de registres commerciaux complets et mis à jour,
  • la disposition d’informations complètes et actualisées sur les bénéficiaires effectifs,
  • la mise en œuvre du régime de sanctions financières ciblées liées au financement du terrorisme, et
  • le contrôle efficace des associations et des organisations.

Tout au long de cet article, nous allons nous focaliser sur les recommandations susmentionnées pour comprendre leur évolution.

Recommandation 6 :

La recommandation n°6 du GAFI est en relation avec les sanctions financières ciblées liées au terrorisme et à son financement. L’évaluation « Partiellement Conforme » de la Tunisie a été justifiée par les raisons suivantes :

  • Les autorités tunisiennes n’avaient pas encore mis en place un mécanisme d’identification de personnes et d’entités susceptibles d’être rattachées à des organisations, personnes ou activités à caractère terroriste, cela devait être effectué dans le cadre d’une autorité ou d’une cour compétente.
  • Le Ministère des Finances ne disposait pas, encore selon le premier rapport du GAFI, d’un régime de sanctions financières ciblées pour pouvoir par la suite apporter une réponse unilatérale aux menaces identifiées. Le mécanisme de gel des fonds ne pouvait être appliqué qu’aux entités sujettes à la loi relative à la Lutte contre le Blanchiment de Capitaux et le Financement du Terrorisme et non pas à l’ensemble des personnes vivant sur le territoire tunisien. Par ailleurs, les lois existantes n’interdisaient pas de nouer des relations d’affaires avec les personnes et les entités qui ont été identifiées comme responsables d’infractions terroristes. Une problématique tant discutée entre les établissements assujettis à la règlementation LBA/FT et leurs régulateurs : doit-on ouvrir le compte ou faire la souscription et accepter les fonds tout en sachant qu’ils feront l’objet immédiatement d’un gel et d’une déclaration à la CTAF.

La loi organique n°2015-26 du 7 août 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent est venue pallier à ces déficiences. Elle a notamment permis de créer la Commission Nationale de Lutte Contre le Terrorisme dont la principale prérogative consiste à proposer les mesures nécessaires à prendre concernant les personnes ou entités en relation avec des infractions terroristes par le biais de rapports destinés au Président de la République, au Président de l’Assemblée des représentants du peuple et au Chef du Gouvernement ainsi qu’aux instances administratives concernées. Le dispositif juridique a été par la suite renforcé par un décret gouvernemental émis le 04 janvier 2018 portant sur les procédures de mise en œuvre des résolutions prises par les instances onusiennes compétentes liées à la répression du financement du terrorisme ainsi que par la loi organique n°2019-09 du 23/01/2019 qui vient combler les lacunes de la loi organique n°2015-26 susmentionnée.

Le rapport révèle que la Tunisie répond désormais aux exigences de la recommandation 6, mais il lui reste encore à ajouter des informations d’identification et des informations spécifiques à l’appui de la désignation de personnes ou entités ayant commis des infractions terroristes lorsque ces informations vont être communiquées à des pays devant donner suite aux actions engagées dans le cadre des mécanismes de gel.

Recommandation 8 :

La recommandation 8 est relative aux organisations à but non lucratif (OBNL). La Tunisie a été désignée comme « Partiellement Conforme », principalement, pour les trois raisons suivantes :

  • L’absence d’un système efficace destiné à la sensibilisation des OBNL contre son exploitation à des fins de financement du terrorisme.
  • L’absence des mécanismes nécessaires pour l’identification des partenaires et des bénéficiaires effectifs des OBNL
  • L’absence des moyens permettant de mener des investigations sur les OBNL afin de lutter contre le financement du terrorisme

Afin de remédier à ces lacunes, la Tunisie a entériné un ensemble de mesures, dont les plus importantes sont les suivantes :

  • Adoption d’une approche visant à promouvoir la coordination entre les divers organes chargés de l’identification et de la supervision des OBNL
  • Adoption d’une approche fondée sur les risques dans les processus d’évaluation des OBNL et d’identification de ceux qui sont vulnérables à une exploitation à des fins de financement du terrorisme
  • Organisation d’activités avec plusieurs acteurs privés afin de sensibiliser les OBNL à leur utilisation potentielle à des fins de financement du terrorisme
  • Publication de la décision n°12/2018 par la Commission Tunisienne des Analyses Financières comprenant les dispositions nécessaires pour identifier les bénéficiaires effectifs et les partenaires d’un OBNL.
  • Publication de la loi 2018-52 (06/11/2018) relative au Registre National des Entreprises visant à renforcer l’efficacité et la transparence des bases de données relatives aux entités économiques suivantes : Entreprises, sociétés, personnes physiques, associations, organisations, établissements stables, etc.
  • Préparation d’un programme national ayant pour but la réévaluation nationale des risques et la sensibilisation des OBNL ainsi que les donateurs concernant l’utilisation des fonds à des fins de financement du terrorisme.

Ces efforts ont été vivement salués par le dernier rapport du GAFI et la note relative à cette recommandation a été élevée de « Partiellement Conforme » à « Largement Conforme ». Néanmoins, la Tunisie doit maintenir ses efforts pour actualiser la nature des menaces posées sur les OBNL et pour examiner l’adéquation des procédures en vigueur.

Recommandation 26 

Cette recommandation porte sur la réglementation et le contrôle des institutions financières. La Tunisie a été jugée par la GAFI comme « Partiellement Conforme » pour les raisons suivantes :

  • La Banque Centrale (BC), le Conseil du Marché Financier (CMF) et le Comité Général des Assurances (CGA) ne disposaient pas de pouvoirs clairs en matière de LBC/FT
  • L’absence d’une autorité de contrôle pour la Poste Tunisienne
  • L’absence de mesures écrites spécifiques pour garantir le contrôle selon une approche axée sur les risques
  • L’insuffisance des supervisions sur place menées par la BC et le CMF et l’absence totale de telles supervisions dans le cas du CGA
  • La non-prise en compte des niveaux de risque pour pouvoir effectuer les missions de contrôle et d’audit
  • La mauvaise compréhension des risques par les autorités de contrôle du secteur bancaire et financier en raison de la rareté des missions de contrôle sur place
  • La faiblesse des compétences en matière de LBC/FT chez les chargés de superviser le secteur bancaire et financier
  • L’absence de politiques, de procédures et de campagnes de sensibilisation permettant la compréhension des risques liés à la LBC/FT
  • L’absence d’un système de sanctions financières adéquat

En réponse aux lacunes enregistrées concernant la recommandation 26, la Tunisie a adopté les mesures suivantes :

  • La conduction d’une étude sectorielle par le Conseil du Marché Financier sur les risques liés à la LBA/FT. Suite à cette étude, des missions d’audit ont été effectuées auprès de différents intermédiaires en bourse pour identifier et sanctionner les violations en matière de LBA/FT.
  • L’adoption par le CMF et le CGA de manuels de procédures s’appuyant sur une approche fondée sur les risques et mettant l’accent sur les aspects à risque élevé
  • L’organisation de formations destinées aux inspecteurs de LBA/FT.
  • La désignation du Ministère des Télécommunications comme l’autorité de contrôle chargée de veiller à la conformité de la Poste Nationale aux obligations en matière de LBA/FT.

Suite au dernier rapport du GAFI, la note de la Tunisie pour la recommandation 26 a été ré-examinée de « Partiellement Conforme » à « Largement Conforme ». Toutefois, il est encore nécessaire de fournir des efforts supplémentaires quant aux points suivants :

  • La mise en place de missions de contrôle périodiques ou exceptionnelles afin de prévenir les criminels et leurs complices de devenir des bénéficiaires effectifs.
  • La communication d’informations sur le degré d’application de la supervision basée sur les risques dans le cadre des institutions financières
  • L’adoption d’un mécanisme permettant la révision périodique des méthodes d’évaluation des risques LBA/FT

Recommandation 34 

Cette recommandation se focalise sur les lignes directrices et le retour d’informations entre les autorités compétentes, les autorités de contrôle, les organismes d’autorégulation et les institutions financières et les EPNFD. Le premier Rapport d’Évaluation Mutuelle du GAFI a montré que les lignes directrices et le retour d’informations entre les autorités et les entités et personnes assujetties sont limitées et que les EPFND ne reçoivent aucun retour d’informations.

Afin de remédier à ces lacunes, la Tunisie a pris les dispositions suivantes :

  • La publication par le Comité d’Analyse Financières de lignes directrices aux avocats, experts comptables, agents immobiliers et marchands de bijoux et de pierres précieuses (19/04/2018).
  • Emission par le Ministre de l’Intérieur, le Ministre des Finances et le Ministre du Tourisme et de l’Artisanat d’une décision sur la réglementation des activités se rapportant aux gestionnaires des casinos et aux marchands de bijoux et des pierres précieuses pour la détection et la déclaration des opérations et transactions suspectes (19/04/2018).
  • Emission par le Ministre du Commerce de la décision de ratification du règlement intérieur relatif aux agents immobiliers pour l’identification et la déclaration des opérations et transactions suspectes (19/04/2018).
  • La publication par l’Autorité des Experts Comptables de la norme professionnelle  n°55 du 18/04/2018 sur les obligations en matière de LBC/FT

Après la publication des lignes directrices visant à aider les institutions financières et les EPFND à mettre en œuvre les mesures nationales en termes de LBC/FT, l’évaluation de notre pays a évolué de « Partiellement Conforme » à « Largement Conforme ». Cependant, de sérieux efforts devraient être fournis pour consolider le dispositif de retour d’informations.

Recommandation 18 

La recommandation 18 porte sur les contrôles internes et les succursales et filiales à l’étranger. La Tunisie a été évaluée comme « Partiellement Conforme » aux obligations du GAFI et suite au dernier réexamen, l’évaluation a été maintenue.

En effet, selon la recommandation 18, les institutions financières sont dans l’obligation de disposer de programmes de LBC/FT et de les mettre en œuvre à l’échelle du groupe. La dernière évaluation a montré que la Tunisie n’a pas encore tenu ces obligations vu que les succursales et les filiales ne semblent pas appliquer les mesures de LBC/FT requises.

Dans l’optique de préparer un rapport d’avancement au GAFI, le CGA a adopté un processus de contrôle continu. Durant la première semaine de Mars 2019, un questionnaire sur les mesures de vigilance de la lutte contre le terrorisme et la prévention du blanchiment de capitaux a été communiqué à toutes les compagnies d’assurances.

Les principales améliorations apportées par rapport à la circulaire n°2017-08 concernant la consolidation des diligences d’identification des bénéficiaires effectifs. Pour ce faire, une nouvelle méthodologie pour déterminer le bénéficiaire effectif a été adoptée notamment un registre du bénéficiaire effectif.

C’est dans ce contexte qu’un formulaire de déclaration du bénéficiaire effectif est accessible sur le site de registre de commerce tunisien pour les entités pour conserver des informations exactes et actualisées sur les bénéficiaires effectifs.

Inopportunément, le grand défi est d’impliquer les Entreprises et Professions Non Financières Désignées (EPNFD) pour remédier aux carences restantes dans le dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement d’argent.

La Tunisie a, depuis plus d’un an, consolidé son arsenal juridique et réglementaire de LBC/FT afin d’être en harmonie avec les normes internationales. Ces progrès ont été salués par le dernier rapport du GAFI et sont prometteurs quant à l’éventuelle sortie de la Tunisie de la liste des pays sous surveillance. Un mois déjà après la publication du rapport de suivi, de nombreuses nouvelles réformes ont vu le jour notamment le décret gouvernemental du 1 Février 2019. Ce décret définit les mesures à prendre pour la répression du financement du terrorisme et à la non-prolifération des armes de destruction massive.

Le dispositif réglementaire mis en place par les autorités compétentes et de contrôle devrait être mis en pratique par des solutions technologiques qui permettraient de soutenir les différentes institutions financières et les EPNFD dans leur LBC/FT. Dans ce sens, Vneuron propose la solution REIS : Risk & Compliance Suite qui est devenue dans peu de temps le logiciel le plus efficace notamment pour la détection des relations à risque.